
Je suis ton Père/I am your Father
Dans mon livre, je parle de mon beau-père originaire d’Europe de l’Est. Il est décédé de complications liées à la maladie d’Alzheimer en 2009.
Aujourd’hui, en 2024, j’ai l’impression que mon déclin s’est amorcé et que mon destin sera bientôt semblable à celui de mon beau-père.
In my book, I write about my Eastern European father in law. He died of complications linked to Alzheimer’s disease in 2009.
Today in 2024, I feel like my decline has set in and my fate will soon mirror my father in law’s.
Je suis ton Père/I am your Father… un extrait du récit/ an excerpt from the story…The English version follows the French
Au cours de l’hiver 2006, les premiers stades de la maladie d’Alzheimer empêchèrent Père de vivre désormais de façon autonome dans son appartement de Burnaby, et ses filles durent le placer dans un foyer pour personnes âgées. Père avait atteint le point où il vivait dans un moment présent presque perpétuel, où il répétait les mêmes phrases et questions standard, comme « Je te donne de l’argent et tu veux un verre? », et il parlait aux photos de ses petits-enfants qui étaient accrochées au mur de sa chambre. Pendant presque toute la première année, Père semblait heureux et soulagé d’être dans un foyer; vivre seul dans un brouillard d’oubli avait été extrêmement éprouvant car avant d’entrer dans l’établissement, il se perdait dans le labyrinthe du centre commercial Metrotown et devait demander de l’aide à de parfaits inconnus. Au foyer, il répétait « V krátkom čase budem mŕtvy » (« Dans peu de temps, je serai mort ») et « Čoskoro ma k sebe zavolá pán Boh » (« Bientôt, Monsieur Dieu m’appellera à lui »). À bien des égards, il est aussi devenu un homme nouveau. Cette nouvelle version de lui-même participait avec enthousiasme aux sessions de musique, chantant des airs de feu de camp habituellement réservés aux enfants…
Willoughby walliby wah
Un éléphant s’est assis sur moi
Willoughby walliby woo
Un éléphant s’est assis sur vous
Willoughby walliby Wo-seph
Un éléphant s’est assis sur Jo-seph
…et il rayonnait quand il entendait son propre prénom répété dans la chanson.
Le Père que nous connaissions avait méprisé les sucreries et surtout ce qu’il appelait la « boisson des veemen », c’est-à-dire les boissons alcoolisées qui, d’après lui, devaient être réservées aux femmes, selon le code slovaque en vigueur. Mais à la maison de retraite, Père a développé une rage de sucre et est devenu un voleur habile, agissant furtivement : il se glissait dans les chambres des autres résidents qui avaient reçu des boîtes de bonbons ou de chocolats de leurs proches et dévorait tout le butin dérobé. Il se promenait également dans la salle à manger après le repas, mais avant le nettoyage, et dévorait tous les restes de desserts. Après quelques semaines de ce régime radicalement différent, Père nous a confié: « Je n’arrive pas à comprendre que… mon estomac grossisse… I not can understanding theeeees….my stomach….growing….up ». Il grossissait à vue d’œil, et le personnel du foyer nous a appelés pour nous informer qu’ils avaient acquis une toute nouvelle garde-robe pour Père, comprenant des pantalons de survêtement avec une ceinture extensible. Dans sa nouvelle tenue, Père était superbe à voir! Fini le look du Politburo soviétique d’Europe de l’Est. Père était enfin devenu, du moins d’un point de vue vestimentaire, un Nord-Américain.
La dernière fois que nous avons rendu visite à Père dans le foyer a été un moment de pure magie. Il a raconté lucidement, avec force détails, ses aventures dans la forêt en tant que membre de la résistance antinazie tchécoslovaque, des histoires émouvantes et effrayantes auxquelles nous nous attachions d’autant plus qu’elles étaient probablement les dernières.
Après avoir raconté ces histoires fascinantes, il s’est tourné vers moi et m’a dit en slovaque : « si najlepší syn, akého som mohol mať … tu es le meilleur fils que j’aurais pu avoir ». C’était un cadeau impérissable, d’une valeur inestimable.
Père est mort le jour de la Saint Joseph, le 19 mars 2009. Il était tombé, s’était cassé la hanche et ne s’était jamais relevé, refusant de s’alimenter comme s’il avait décidé de dépérir. Il était parti… loin, très loin.
À l’époque où il venait chez nous à Québec, chaque fois qu’il quittait notre maison, Père se confondait en excuses : « Si j’ai dit ou fait quelque chose de déplacé ou de mal pendant cette courte visite, j’en suis vraiment désolé ». Alors que je glisse vers l’abîme éternel de l’oubli, j’ai adopté ce rituel d’excuses pour ma famille et mes amis. Les mots de Jozef Schlenker composeront une épitaphe tout à fait appropriée lorsque ma propre courte visite touchera à sa fin.
By the winter of 2006, incipient Alzheimer’s had made it impossible for Father to continue dwelling autonomously in his Burnaby condo, and his daughters had to put him in a nursing home. Father had reached the point where he was living in a nearly perpetual present moment, where he repeated the same stock phrases and questions, normally “I gip you money and vould you like a drink?” and talked to the pictures of his grandchildren that hung on his bedroom wall. For the first year or so after admission, Father seemed happy and relieved to be in the nursing home; living alone in a fog of forgetting had been extremely taxing and before entering the facility, he would lose his way in the labyrinth of the Metrotown mall and have to seek the assistance of perfect strangers. In the home, he would repeat “V krátkom čase budem mŕtvy” (In a short time I be dead) and “Čoskoro ma k sebe zavolá pán Boh (Soon Mr. God will call me to him). In many ways, he also became a new man. This freshly minted version enthusiastically participated in sing-along sessions, crooning corny campfire tunes usually reserved for children…
Willoughby walliby wee
An elephant sat on me
Willoughby walliby woo
An elephant sat on you
Willoughbly wallaby Wo-seph
An elephant sat on Jo-seph
…and beaming when he heard his own name repeated in the song.
The Father we knew had spurned sweets and especially what he called “veemen drink,” i.e. alcoholic beverages that he deemed fit only for women, according to the prevailing Slovak code. But in the nursing home, Father developed a raging sweet tooth and became a clever and stealthy thief: he would slip into the rooms of other residents who had received boxes of candy or chocolates from their loved ones and then devour the entire purloined hoard. He would also lumber about the dining room after mealtime but before clean-up and gobble all the leftover desserts. After a few weeks of this radically different diet, Father confided in us: “I not can understanding theees…my stomach growing…up.” He was expanding like the universe, and the nursing home staff called to inform us that they had acquired a brand-new wardrobe for Father, featuring sweatpants with an expandable waistband. In his new garb, Father was a wonder to behold! Gone was the Eastern European Soviet Politburo look. Father had become, at least from a sartorial perspective, a North American at long last.
The last time that we visited Father in the nursing home was a moment of pure magic. He recounted lucidly, in vivid detail, his adventures in the forest as part of the Czechoslovak anti-Nazi resistance, moving and frightening stories that we knew we had to cherish as quite possibly his last.
After recounting these fascinating tales, he turned to me and said in Slovak, “si najlepší syn, akého som mohol mať “…you are the best son I could have had. This was a lasting priceless gift.
Father died on his name day, March 19, in 2009. He had fallen, broken his hip, and never got up again, refusing to eat and withering away, far away.
Back in the days when he came to Quebec City, each time he left our home, Father would issue a blanket apology: “ If I said or did anything wrong or bad during this short visit, I am very sorry.” As I slide closer to oblivion, I have adopted this ritual apology for my family and friends. It will also serve as a fitting epitaph when my own short visit draws to a close.
Your friend,
Robert
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